Je vais être honnête avec vous d’entrée de jeu : j’ai 43 ans et je suis un enfant de la génération Steam. Depuis 2004, date à laquelle j’ai créé mon compte sur la plateforme de Valve, j’ai progressivement, mais sûrement, abandonné tout attrait pour le support physique. Pour moi, une boîte de jeu en plastique, c’est avant tout un objet qui prend la poussière, qui pollue inutilement la planète et qui, soyons francs, ne sert strictement à rien une fois le disque inséré (quand il y en a encore un). Je n’aime pas avoir ces objets chez moi. C’est du bazar visuel, et en dehors de la revente potentielle, je ne leur trouve aucun avantage face au confort absolu de ma bibliothèque numérique.
Pourtant, il y a quelques mois, une anomalie s’est glissée dans ma matrice bien ordonnée : l’arrivée d’une Nintendo Switch 2 à la maison pour mon fils de 6 ans. Et avec elle, une remise en question totale de mes certitudes de vieux geek pragmatique.
Le pragmatisme économique face à la “Taxe Nintendo”
Si vous fréquentez l’eShop de Nintendo, vous savez que les promotions sur les titres phares (les Mario, Zelda et autres Pokémon) sont aussi rares que de la pluie dans le désert. C’est là que mes convictions pro-dématérialisé se sont heurtées à la réalité du porte-monnaie. Pour équiper la nouvelle console de la maison sans y laisser un rein, je me suis tourné vers Vinted.
C’est purement mathématique : pourquoi payer 60 euros un fichier téléchargeable quand je peux trouver la cartouche à moitié prix en seconde main ? De plus, acheter d’occasion, c’est bon pour la planète et ça s’inscrit dans une démarche plus responsable que je valide à 100 %. J’ai donc commencé à recevoir ces petites boîtes rouges. Et c’est là, en observant mon fils, que j’ai compris qu’il se passait quelque chose que je n’avais pas anticipé.
Le rituel de la cartouche : une expérience sensorielle
Pour ma part, lancer un jeu, c’est double-cliquer sur une icône. C’est froid, immédiat, efficace. Pour un enfant de 6 ans, l’objet physique semble avoir une tout autre portée. J’ai observé mon fils manipuler ces boîtes avec une attention particulière. Un véritable rituel s’installe : aller chercher la boîte sur l’étagère, l’ouvrir (avec un peu de difficulté parfois, avouons-le), sortir la minuscule cartouche, ouvrir le clapet de la console, faire l’échange, et ranger l’ancien jeu.
Ce processus, qui me paraîtrait fastidieux au possible sur mon PC, agit sur lui comme une phase de préparation. Il observe les jaquettes, il me pose des questions sur les personnages dessinés au dos. La matérialisation physique du jeu ancre l’expérience dans le réel. Là où le dématérialisé incite au “zapping” frenétique — on lance, on joue 5 minutes, on ferme, on lance un autre titre, la cartouche impose un choix. On choisit un jeu, on l’insère, et on s’y tient un moment car changer demande un effort physique.
La perception de la valeur chez l’enfant
Cette observation m’amène à une interrogation de fond : est-ce que la manipulation de l’objet change la perception que l’enfant a de l’œuvre ? J’ai tendance à penser que oui.
Dans un monde dans lequel ils sont bombardés de contenus immatériels (Netflix, YouTube, jeux mobiles), la notion de valeur devient floue. Un jeu téléchargé en trois minutes ressemble à un autre. En revanche, ce petit carré de plastique qu’on ne doit pas perdre (une angoisse réelle pour les parents, je vous l’accorde, tant ces cartouches Switch sont minuscules), qu’on doit ranger dans sa boîte, représente quelque chose de concret. C’est « son » jeu. Il possède l’objet.
Il y a aussi une dimension motrice intéressante. Manipuler ces petits objets demande de la précision. C’est une interaction tangible avec son loisir qui disparaît totalement avec le tout numérique. Je me surprends à penser que ce lien physique aide peut-être l’enfant à mieux “respecter” le jeu, à comprendre que c’est un bien qui a une valeur, contrairement à une icône noyée au milieu de cinquante autres sur un écran d’accueil.
Le revers de la médaille : logistique et risques
Évidemment, je ne vais pas devenir un apôtre du physique du jour au lendemain. Il faut reconnaître les arguments des partisans du tout numérique (que je lisais récemment sur des forums spécialisés). Avec des enfants en bas âge, le risque de perte est gigantesque. Une cartouche Switch, c’est la taille d’une carte SD ; cela glisse sous le canapé, elle finit dans l’aspirateur ou pire, oublié dans la poche d’un jean qui part à la machine.
Le dématérialisé procure cette sécurité absolue : le jeu est lié au compte, indestructible, imperdable. Sans parler du confort lors des déplacements. Devoir trimballer une sacoche remplie de boîtes quand on part en vacances est une régression technologique indéniable par rapport à une carte microSD de 512 Go remplie de hits.
Mais malgré ces défauts logistiques, je ne peux ignorer l’étincelle dans les yeux de mon fils quand il reçoit un nouveau jeu “en vrai”.
Conclusion
Finalement, ce débat entre physique et dématérialisé pour nos enfants ne se résume pas qu’à une question de prix ou de place sur l’étagère. C’est une question de rapport à la consommation culturelle.
Moi, l’adulte pressé et minimaliste, je resterai fidèle à Steam et au dématérialisé pour mon confort personnel. Mais pour mon fils, je vais continuer à privilégier, quand c’est possible, ces petites cartouches d’occasion. Parce que ce petit rituel d’insertion, ce bruit du clapet qui se ferme et cette fierté d’aligner ses boîtes dans sa chambre participent à son éducation de joueur. Ils donnent du poids et du sens à son loisir, là où le numérique tend à tout lisser.
Et vous, vous êtes plutôt team “pratique” ou team “nostalgie” avec vos enfants ?
Gwen




