Blacksad, inspiré de la BD éponyme de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, est un jeu de rôle sorti en mai 2016. Édité par La Loutre Rôliste, ce livre de 169 pages propose de vivre des aventures mêlant crime, racisme, sexisme (et tous les -ismes) dans l’ambiance noire des années 50 aux Etats-Unis. Le tout dans la fourrure d’animaux anthropomorphes.
“MJ, souriant : Salut, bande d’animaux !
PJ 1 se lève brusquement : Eh mais comment tu nous parles ! Tu te prends pour qui ?! Espèce d’…
MJ l’interrompt : Non mais calme-toi, imbécile ! C’est le jeu, vous incarnez des animaux…
PJ 1, gêné, se rassied lentement en regardant innocemment autour de lui : Ah… euh… désolé.
PJ 2 : Comment ça, on joue des animaux ?
MJ, irrité : Mais y a personne qui lit mes descriptions de jeu ou quoi ?
Les 3 PJ se regardent de manière évasive.
MJ soupire, exaspéré : Bon vous allez jouer dans l’univers de Blacksad.
PJ 3 : Black-quoi ?
MJ : Blacksad. C’est une BD espagnole où le héros est un chat. Et vous incarnez des animaux anthropomorphes.
PJ 3 : Anthropo-quoi ?
MJ : Mais tu le fais exprès ou quoi ? An-thro-po-morphes ! C’est-à-dire des animaux qui ont forme humaine.
PJ 2 : Mais s’ils ont forme humaine, c’est pas des animaux.
MJ, qui perd patience, se lève et hausse le ton : Bon ! Vous êtes des animaux qui avez forme humaine. Mais vous n’êtes pas des humains. Vous avez des mains, des pieds, des yeux, un nez, vous pouvez parler comme des humains, vous réfléchissez comme des humains mais vous n’êtes pas des humains. Vous êtes des animaux. C’est quand même clair, non !?
Les 3 PJ n’osent pas répondre et s’échangent des regards perplexes.
PJ 1 : Et euh… sinon, le jeu consiste en quoi ?
MJ, qui se rassied et se calme : Vous êtes donc des animaux dans les États-Unis des années 50. Ambiance noire, racisme, sexisme et voix graves sont au rendez-vous. Vous avez choisi vos personnages ?
PJ 2 : Ouais, moi je suis l’oiseau aveugle qui rêve d’aller à Las Vegas.
PJ 3 : Moi, je prends la serveuse ourse noire, victime de racisme.
MJ : OK, et toi ?
PJ 1, fier de lui : Moi je suis le berger allemand commissaire de police émérite.
MJ, qui écarquille les yeux : OK… bon, ben je vais devoir trouver un moyen de vous réunir… … … … … Bon, d’accord. On va lancer ça sur le tas, tant pis. Vous arrivez à un casino, suite à la demande du propriétaire qui aimerait que vous enquêtiez sur un truc. Vous entrez dans ce bureau.
PJ 2 : OK, quand on entre, je regarde un peu autour de moi…
MJ : T’es aveugle.
PJ 2 : Ah ouais, merde.
MJ : Les autres, que faites-vous ?
PJ 1, qui regarde les autres joueurs avec dédain : Euh, c’est normal qu’un proprio de casino fasse appel à une serveuse et un piaf aveugle pour une enquête ? Après tout, la police est là.
PJ 3 : Eh oh, la serveuse elle t’a rien demandé.
MJ, souriant et se tâtant les doigts : Ah c’est bien, ça bouge enfin !
PJ 1 : Oh, on va baisser d’un ton ma p’tite dame, sinon j’vous embarque au commissariat, moi.
PJ 2, souriant : Moi je les regarde se battre.
MJ : T’es aveugle, j’te dis !
PJ 2 : …”
On décortique Blacksad – Le Jeu de Rôle
Il ne faut pas plus d’une page de crédits et une page de sommaire avant que le jeu ne se lance dans le feu de la lecture. Blacksad – Le Jeu de Rôle contient :
- Introduction (6 pages) qui, comme le veut l’usage, explique ce qu’est un jeu de rôle et comment y jouer, avant d’embrayer sur un sommaire plus détaillé de l’ouvrage ;
- Personnages (10 pages), un chapitre dédié à la création de personnages (avec un mot sur les PNJ), leurs caractéristiques, leurs traits, leur historique ou encore leur morale, avant d’illustrer le tout à l’aide d’une fiche de personnage remplie ;
- Règles (34 pages) qui reprend toutes les règles, des mécaniques de bases en allant aux règles optionnelles, en passant par la santé, les combats, l’utilisation des aspects ou encore la morale ;
- Scénario (30 pages) qui regorge de conseils quant à l’écriture de scénarios (ou campagnes) pour le jeu mais aussi de conseils destinés principalement au MJ afin qu’il gère le rythme, la tension, l’univers, l’intrigue et la limite entre fiction et réalité ;
- Ambiance (50 pages) qui donne de nombreux détails sur l’univers de Blacksad, dont des informations pratiques comme les lieux (génériques ou importants) ainsi que les caractéristiques des PNJ qu’on risque d’y rencontrer, et livre les fiches des personnages iconiques du jeu servant également de prétirés ;
- Affaires (33 pages) qui regroupe 5 scénarios, dont le premier est détaillé tandis que les autres se contentent d’un synopsis et de PNJ importants, et reprend plusieurs notes tirées du carnet fictif de Blacksad pour plonger une nouvelle fois le lecteur dans l’ambiance de l’oeuvre originale.
Univers : un chat noir, c’est bon signe non ?
Mon éternel esprit de contradiction m’incite toujours, malgré moi, à faire les choses à l’envers. Par exemple, je ne connaissais rien de la bande-dessinée Blacksad (alors qu’elle est tout de même populaire dans le milieu). Il a fallu que je tombe sur le jeu de rôle pour m’y intéresser et dévorer les 5 tomes. L’effet Kiss Cool, c’est qu’en feuilletant la BD, je ne cessais d’imaginer les possibilités offertes par un tel univers dans un jeu de rôle. Mais alors c’est quoi, Blacksad ? C’est tout d’abord les plus beaux dessins que j’aie jamais vus dans une BD. Mais c’est pas le sujet. Mais quand même, lisez la BD, elle est magnifique.
Blacksad met en scène un chat noir, détective privé de son état. Le jeu s’oriente donc vers des scénarios d’enquête dans une ambiance noire en plein milieu des années 50. Le jeu offre donc un décor hardboiled soft (contrairement à Hellywood, plus trash). Comprenez par là que les thématiques traitées – racisme, communisme, sexisme, violence, etc. – sont tout aussi sérieuses, à une nuance près. Le fait que les protagonistes soient des animaux anthropomorphes permet d’aborder ces sujets avec plus de recul. Les différences entre les animaux jouent également dans le roleplay, leurs caractéristiques physionomiques ayant un impact sur leurs attributs. Bref, Blacksad est le compromis idéal pour les joueurs qui cherchent un univers noir et sérieux, sans le côté trop cru qui pourrait rebuter certains.
Design et lisibilité : c’est pas du plagiat mais quand même…
Ma critique se base principalement sur le PDF (pour lequel je remercie La Loutre Rôliste). J’ai toutefois pu feuilleter le bouquin lors de ma partie et il est de très bonne qualité. De la couverture rigide au papier glacé, en passant par la structure des pages et l’écriture, l’éditeur a vraiment fait de l’excellent travail. Sans surprise, les références graphiques à l’oeuvre originale constituent le fil rouge de ce livre de règles, jusque dans les plus petites subtilités. Je pense notamment à la police des chapitres, qui transpire le vintage avec ses faux airs de craie, ou encore à l’arrière-plan crayonné des pages.
Toutes les références ne sont cependant pas si subtiles. Pratiquement chaque page contient des cases issues de la BD Blacksad. Si certains pourraient être enclins à y voir une forme de fainéantise, peut-on reprocher à l’éditeur de recourir aux magnifiques dessins de la bande dessinée (car ils sont magnifiques, vraiment, lisez la BD !) ? D’autant que ces extraits sont souvent en rapport avec le thème abordé juste avant. Cette stratégie, qui évite des frais d’illustration aux auteurs, permet donc une lecture plus fluide et agréable d’un livre par ailleurs bien rédigé… Enfin, certains passages s’avèrent toutefois très (trop) denses, notamment quand on aborde le système (voir plus bas).
Système de jeu : des dés noirs, blancs et rouges… où est le racisme ?
Histoire d’évacuer un très mauvais jeu de mots, autant commencer par dire que le système est la bête noire du jeu. Voilà. Ça, c’est fait. En fait, quand j’ai commencé à lire la création de personnages, j’étais emballé. Quand j’ai saisi le système de dés, ça allait. Puis le livre s’est lancé dans une multitude de sous-règles qui rendent les 34 pages du système assez lourdes à lire. Dans les faits, la mécanique de base implique de lancer 6D6. Il y a trois types de dés : les dés noirs (dés d’action), les dés blancs (dés complémentaires) et les dés rouges (dés de tension). Selon les attributs de votre personnage, vous lancez des dés noirs (par exemple, s’il a 3 en Force, vous lancez 3 dés noirs). Un résultat de 4, 5 ou 6 sur ces dés est un succès. Les dés complémentaires ne servent qu’à compléter vos dés pour en avoir 6. Sur ceux-là, seul un 1 (échec) ou un 6 (succès) compte.
Les dés de tension ne s’utilisent que dans des cas exceptionnels faisant intervenir la conscience, la morale du personnage. Le but étant de voir si le personnage parvient à lutter contre sa part sombre, soit une excellente idée qui peut perturber la partie d’un joueur (et on adore ça). L’un dans l’autre, ces règles restent relativement accessibles. La complémentarité des dés noirs et blancs traduit par ailleurs les points d’attributs, ce qui est très ingénieux. Sans compter que le nombre de succès ou d’échec implique des effets différents (réussi, mais… ; réussi avec effet positif supplémentaire ; raté, mais… ; etc.). En revanche, l’ensemble du système reste très dense à lire et on se demande à la lecture si on va tout pouvoir retenir. On peut bien sûr se rabattre sur l’écran mais celui-ci est extrêmement fourni aussi. Finalement, certaines règles manquent de clarté (ou alors d’équilibrage), c’est le cas notamment des dégâts qui semblent trop punitifs.
Et quand on joue ? On rit comme des baleines (oh, encore un bête jeu de mots)
Si après avoir lu la BD, j’étais très enthousiaste à l’idée de jouer à Blacksad, je dois avouer que la lecture des règles m’a un peu refroidi. J’en ai d’ailleurs fait part au MJ puisque pour une fois, j’étais joueur autour de la table (et ça fait du bien). Finalement, le groupe s’est très vite adapté aux règles, même aux mécanismes plus poussés comme la possibilité de relancer les dés ou d’ajuster les jets selon les aspects des personnages. Ce fut un véritable plaisir d’incarner des personnages très typés (comme le veut l’univers de la BD) et de mener l’enquête au sein d’un groupe très hétéroclite.
Quant aux néophytes qui se demanderaient s’il faut connaître/apprécier la BD pour profiter pleinement du jeu, il n’en est rien. Le jeu de rôle Blacksad se suffit à lui-même mais il s’agit toujours d’un univers qui baigne dans l’ambiance polar noir des années 50. En tout cas, les joueuses autour de notre table qui n’avaient pas côtoyé la BD se sont amusées autant que les connaisseurs. Si les règles ne nous ont pas trop gêné, nous avons tout de même connu quelques baisses de régime pour retourner dans le bouquin et bien saisir certains concepts. Rien de grave mais je suis persuadé qu’une seconde partie permettrait à tout le monde d’être rodé.
Conclusion : un jeu digne de la BD, même si vous ne l’avez jamais lue
En jeu de rôle, il y a deux types de surprises. Un système super sur papier mais ultra lourd à table. Ou un système pas très agréable à lire mais qui fonctionne bien. Blacksad se situe plutôt dans la seconde catégorie. Le système tourne bien et repose sur une logique ingénieuse. Quelques éléments restent flous (ou mal pensés ?) mais rien qui ne gâche l’expérience de jeu. Avec son univers très inspiré, très typé et surtout très nuancé, Blacksad – Le Jeu de Rôle devrait séduire aussi bien les fans de la BD que les non-initiés. Un constat renforcé par le recul que permet l’interprétation d’animaux dans un contexte tout de même sombre et parsemé de sujets sérieux.
Y a-t-il des fans de Blacksad dans la salle ? Si oui, c’est peut-être l’occasion de se lancer dans le jeu de rôle, non ? Qu’en dites-vous ?
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Que vous connaissiez la BD ou non, si vous voulez jouer dans un univers polar noir inspiré des années 50 dans en incarnant des animaux, vous pouvez retrouver Blacksad – Le Jeu de Rôle chez notre partenaire Ludik Bazar en cliquant sur le lien ci-dessous.
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Blacksad est le jeu de rôle que méritait cette BD magnifique. Son univers sombre et réaliste - sans être cru - permettra à tous les amateurs du genre de s'amuser, qu'ils connaissent la BD ou non. Faut juste que le MJ explique clairement les règles.