La Nuit des Chasseurs est un jeu de rôle auto-édité par Anthony “Yno” Combrexelle via sa plateforme Mister Frankenstein. Sorti en juillet 2016, ce livre de seulement 52 pages plante le décor pour découvrir le Far West sous un autre jour… et sous un autre regard.
“MJ avance d’un pas lent, les mains tenant sa ceinture, les yeux et les lèvres plissés, puis d’une voix rauque et grave : Salut, les gars !
Les 3 PJ, assis, tournent de concert la tête vers MJ. Ils se tiennent aussi la ceinture et lui font signe du menton en guise de salutation.
MJ, toujours de sa voix rauque et grave : Aujourd’hui, comme vous le savez, on va jouer à La Nuit des Chasseurs, un western crépusculaire.
PJ 2 lève le doigt dans le vide à hauteur de son front, comme pour rehausser un chapeau (invisible), et demande d’une voix aussi ridiculement rauque : Eh, Jack. C’est quoi un western crépusculaire ?
MJ, qui a perdu son air sinistre et reprend de sa voix normale : Euh… pourquoi tu m’appelles Jack ?
PJ 3 se penche vers MJ et murmure discrètement : Ta voix, MJ !
MJ se rend compte de son erreur et se ressaisit. Levant sa ceinture et reprenant sa voix rauque, toujours en plissant les yeux : Pourquoi… *tousse – c’est dur de maintenir une voix pareille – et reprend* … pourquoi tu m’appelles Jack ?
PJ 2, qui regarde d’un air hagard, pas sûr de sa réponse mais rétorque toujours d’une voix grave : Euh… je sais pas. Ça sonnait bien.
Il se tourne vers les autres, espérant de l’aide. Il ajoute alors d’une voix normale, de moins en moins sûr de ce qu’il doit dire : Ben oui, tu sais, puisqu’on joue des cowboys, Jack, ça sonne bien quoi…
PJ 1 intervient, lui aussi en plissant les yeux et en prenant une voix rauque : Oubliez cet imbécile, il a abusé d’un tord-boyaux à vomir hier et il sait plus ce qu’il raconte.
Il hoche la tête d’un air dédaigneux vers PJ 2. Il se tourne ensuite vers le sol et crache.
MJ, interloqué, réagit vivement de sa voix normale : Mais qu’est-ce que tu fous ?! C’est de la moquette, je viens de nettoyer !
PJ 2, surpris par cette réaction, ouvre grand les yeux et se défend comme il peut : Ben, je sais pas euh… j’essaie d’être dans mon personnage, quoi !
MJ réplique de plus en plus fort, la voix aiguë : Mais c’est pas une raison pour cracher sur le sol !
PJ 3 soupire, exaspéré et s’exclame aussi : Les gars, vos voix !
MJ : …”
On décortique La Nuit des Chasseurs
Au format A5, La Nuit des Chasseurs dispose d’une couverture en carton souple et est intégralement imprimé en noir et blanc. En une page, Yno enchaîne crédits, table des matières et liens à retenir. La Nuit des Chasseurs contient :
- Présentation (1 page) présente très brièvement l’univers du jeu et prépare le lecteur quant au contenu du livre ;
- Gestion (3 pages) s’intéresse au genre du western crépusculaire, aux thématiques de la rédemption et de la damnation, et évoque également ses sources d’inspiration ainsi que la musique qui peut accompagner la partie ;
- Immersion (4 pages) est le chapitre d’introduction du jeu, celui qui sera lu par le MJ et permettra aux joueurs de se mettre d’accord quant aux prémices de leur histoire ;
- Désolation (16 pages) présente la ville (et ses environs) qui servira de cadre au jeu, avec un plan, la description succincte de tous ses habitants, leurs objectifs ;
- Propositions (14 pages) regroupe les grandes intrigues qui se trouvent au coeur du jeu et proposent diverses pistes de scénario ainsi que des conseils quant à la manière de les gérer ;
- Création (7 pages) définit les règles de création de personnage, suivies d’une fiche étalée sur deux pages ainsi que l’explication des éléments présents sur cette dernière ;
- Résolution (2 pages) présente les règles de résolution de base ;
- Confrontation (3 pages) développe les règles pour les appliquer aux affrontements, avant d’enchaîner brièvement avec l’équipement et les soins ;
- Évolution (1 page) explique comment les PJ progressent.
Univers : Quand les hors-la-loi font la loi
En citant des références telles que Red Dead Redemption et 3h10 pour Yuma, Yno s’assurait de captiver mon attention. On sort en effet du western spaghetti pour investir un monde plus glauque, plus cru et surtout plus crédible (ou presque). L’humour cède la place à une ambiance plus pesante, sans pour autant s’absoudre de quelques clichés bien sentis. Un peu trop de clichés, même, quand on lit La Nuit des Chasseurs. Quand on passe au crible tous les PNJ proposés, ils semblent tous souffrir d’un terrible dysfonctionnement mental, moral ou physique. Certes, ça paraît réaliste mais difficile de s’attacher du coup à des personnages dont les vices sont si prononcés.
Il convient cependant de saluer l’imagination de l’auteur car s’ils peuvent paraître trop caricaturaux, chaque personnage est gravé dans l’esprit du MJ (ou presque… ils sont quand même nombreux !). Mais le coup de force de La Nuit des Chasseurs, c’est son concept de base. Des hors-la-loi fusillent dans d’étranges circonstances un groupe d’U.S. marshals qui se dirigeaient vers la ville perdue de Désolation, Texas. Cette même ville où, selon certaines rumeurs, serait enfoui un trésor inestimable. Les bandits décident d’usurper l’identité des marshals et de faire régner la loi à Désolation… ou pas. C’est là tout l’intérêt du jeu : les joueurs peuvent prendre goût à l’uniforme comme ils peuvent en abuser ou le voir comme un moyen d’accéder à d’immenses richesses. Bref, le concept est tout simplement génial.
Design et lisibilité : Klair, naitte et préssis
L’intérêt premier d’un livre tel que La Nuit des Chasseurs, c’est sa taille risible. En effet, on ne peut pas toujours se coltiner un bottin et en retenir tous les éléments avant de jouer à un jeu de rôle. Encore faut-il que le prix suive. C’est le cas. Pour seulement 8,50€ (ou 5,25 en PDF), 52 pages, c’est très bien. On peut donc immédiatement passer à la lecture du bouquin. Celui-ci ne tourne pas en rond, ne s’égare pas en détails inutiles et va droit au but. On peut le lire d’une traite et en saisir l’univers, l’ambiance et les enjeux du contexte. Pas d’illustrations mais des photos d’époque (et un peu de Photoshop) dans un noir et blanc vintage dans le ton de l’univers. Difficile de faire plus simple, l’auteur nous laisse avec une idée claire de ce qui nous attend.
La structure du bouquin participe de cette clarté. Chaque chapitre aborde un thème bien précis et aucune confusion n’est à déplorer. Par ailleurs, les nombreux conseils en petites lettres qui parsèment le livre permettent vraiment de visualiser le monde de La Nuit des Chasseurs et lui donne de la substance, tout en titillant l’imagination du MJ. Seul souci,l’absence d’une relecture rigoureuse. S’il n’est pas impossible de tomber sur une petite faute dans un bouquin de 300 pages, en recenser plusieurs dans un si petit livre est dommage. Ça n’a rien de dramatique, évidemment, d’autant que le fond prime sur la forme. Il s’agit juste des caprices d’un rédacteur qui tique à la vue de plusieurs fautes (fût-ce les siennes). Si d’aventure Yno me lit, je suis disposé à contribuer à ses relectures.
Système de jeu : joue plus vite que ton ombre
Le concept des “shooters”, comme l’auteur les appelle, permet en théorie de jouer sur le tas. Je confirme et valide cette approche. Deux, trois pages de règles et c’est parti. Si vous saviez ce que ça fait du bien ! Attention, si un système est bien conçu, ça ne me dérange pas d’en lire 30 pages et d’en apprécier les tables de X et de Y. Mais pour des questions évidentes de temps, pouvoir jouer si vite est un réel plaisir… à condition que les règles soient efficaces. Le système de résolution est pour le coup extrêmement simple : acheter ses aptitudes en y attribuant entre 1 et 5 points (et une seule à 6). Ceux-ci représentent le nombre de D6 que le joueur peut lancer. Échec sur un résultat de 1, 2 ou 3 contre réussite sur un 4, 5 ou 6.
À cela s’ajoutent les spécialités, qui permettent de relancer des dés. Les combats reposent sur le même système de base dans un jet d’opposition. Viennent ensuite les points de ressources, qui servent de joker et permettent de réussir une action si l’on en dépense assez. Finalement, un système d’évolution sommaire permet de progresser, de sorte à jouer le jeu en campagne. En théorie, et avec quelques ajustements, il est même possible d’aboutir à une campagne relativement longue. Sur papier, un système simple, léger et suffisamment chiffré pour ne pas s’ennuyer. Cerise sur le gâteau : le système est pratiquement résumé sur la fiche de personnage, très bien conçue d’ailleurs.
Et quand on joue ? Bien choisir entre one-shot et campagne
La partie que j’ai menée s’est globalement bien passé. La phase d’introduction a permis aux joueurs de s’imprégner de l’univers et ils ont tout de suite adopté le concept de hors-la-loi devenus marshals. L’arrivée en ville a permis aussi d’appréhender l’univers mature du jeu, tout en développant leur propre personnalité suite à la création de personnage – qui invite une nouvelle fois à se donner du relief avec un background et des relations nuancées. Le seul problème que j’ai rencontré en tant que MJ, c’est l’abondance de lieux et PNJ dans La Nuit des Chasseurs. Ce n’est pas un défaut en soi mais même avec une bonne mémoire, on doit continuellement feuilleter le livre et marquer au moins quatre pages des doigts pour s’y retrouver. Du point de vue des joueurs, certains ont relevé une baisse de régime sur la dernière heure de jeu. Pourquoi ?
Un univers trop vaste pour un one-shot. Cette fois, ce n’est pas la faute du jeu mais bien la mienne. J’ai maintenu le contexte tel qu’il est présenté dans le livre. Du coup, les joueurs se sont vite perdus face à de trop nombreuses intrigues (qui se développaient selon leurs choix et les lieux qu’ils visitaient). Du coup, sachant que la partie touchait à sa fin, leur intérêt s’est légèrement estompé. Mon conseil sera donc le suivant pour les aspirants MJ. Si vous faites jouer La Nuit des Chasseurs (faites-le, ce jeu est super !), ne prenez qu’une intrigue et développez-là (l’auteur le conseille d’ailleurs à un moment dans le livre). Du reste, le système tourne très bien et même les combats ne perturbent pas le rythme de la partie (c’est assez rare que pour le mentionner).
Conclusion : un excellent shooter
Jadore ! Quelle belle surprise que ce jeu. J’ai acheté La Nuit des Chasseurs sur un coup de tête et j’étais sceptique, malgré le pitch alléchant du jeu. Eh bien non seulement je ne le regrette pas mais j’ai même hâte d’en lancer une campagne. Son système est fluide, léger et efficace. Son univers très (trop ?) typé. Les pistes de scénario permettent d’orienter le jeu dans une multitude de directions, voire d’entremêler les intrigues. On peut déplorer quelques couacs – principalement d’ordre subjectif, d’ailleurs – mais La Nuit des Chasseurs est un excellent jeu que je recommande à quiconque aime les univers de western un peu plus matures et plus sombres.
Auriez-vous d’autres jeux de rôle western à conseiller ? Ou des jeux signés Yno ? Des questions ? Les commentaires sont là pour ça…
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Vous cherchez un jeu de western simple à appréhender et avec un univers plus sombre que le sempiternel spaghetti ? La Nuit des Chasseurs n'attend plus que vous...
Merci pour cet éclairage, partie prévue pour un oneshot ce vendredi !
Pas de quoi :-)
Dans ce cas, je réitère mon conseil : bien cadrer le scénario (sans forcément être dirigiste) afin que les joueurs ne s’éparpillent pas trop. Bon jeu !