Les Sauveurs est un jeu de rôle français conçu par l’auteur Laurent Devernay (auto-édité via le Labo de Bob) et sorti fin 2016. Composé d’un livre unique de 90 pages, Les Sauveurs peut aussi être considéré comme un livre générique permettant de raconter ses propres histoires.
On décortique Les Sauveurs
Passés les remerciements et le sommaire, Laurent Devernay enchaîne tout de suite avec quelques notes de conception pour résumer, dans les (très) grandes lignes, le fonctionnement de son jeu, dont chaque chapitre est précédé d’une citation en lien avec le concept du jeu, que j’aborderai sous le point Univers. Le livre Les Sauveurs contient :
- le Matériel, un chapitre de 5 pages décrivant le matériel sommaire que nécessite le jeu, à savoir les fiches de personnage, les fiche d’intervention et les fiches de contexte, constituant le squelette qui va permettre aux joueurs de construire un scénario ;
- le Déroulement d’une partie (5 pages), qui décrit les différentes étapes de la narration, élément central du jeu ;
- Comment jouer, 3 pages qui définissent certains concepts censés remplacer les dés dans ce jeu, en permettant aux joueurs de réorienter l’histoire à l’aide d’interventions, décrites plus en détails sous l’onglet Système ;
- Créer son propre contexte (3 pages), des pseudo-règles génériques qui sont en réalité des conseils pour permettre aux lecteurs de créer leur propre fiche de contexte ;
- un Exemple de partie (8 pages) qui, conformément aux étapes décrites dans le chapitre Déroulement d’une partie, simule une partie réelle pour nourrir l’imagination du joueur quant au fonctionnement du système extrêmement basique de Les Sauveurs ;
- des Contextes (29 pages), présentés sous formes de cinq fiches qui vont servir aux joueurs – qui n’auraient pas la patience de créer leurs propres contextes – de lancer une partie sans attendre et qui reposent toujours sur la même structure ;
- des Aides de jeu (8 pages), dont une fiche qui synthétise le déroulement d’une partie, des fiches de personnages et d’intervention.
Univers : un concept prometteur… sur papier
Quand j’ai lu les quelques lignes décrivant le concept de Les Sauveurs, j’étais tout de suite emballé. “Les personnages viennent à l’instant de terrasser l’Ennemi, mettant un terme à son plan machiavélique. Alors qu’ils s’apprêtent à savourer leur victoire, un doute saisit certains d’entre eux. Et si l’Ennemi avait raison ? Et si sa cause était juste, malgré les moyens employés ? Sauver les gens, certes, mais à quel prix ?”
Avouez que ça donne vachement envie ! Combien d’oeuvres non-manichéennes n’ont pas confronté des spectateurs déchirés à des dilemmes moraux de la sorte ? Pour autant, ces oeuvres limitent généralement leur conclusion à la victoire d’un camp, sans jamais décrire les conséquences potentiellement désastreuses de ladite victoire. Rien que pour ça, j’applaudis Laurent Devernay car à l’heure où une majorité de jeux de rôle présentent la confrontation finale comme une fin, Les Sauveurs la définit comme le moyen de raconter une nouvelle histoire. Ainsi, vous pourrez imaginer ce qui arrive aux Orcs et aux Gobelins après la chute de Sauron, aux Stormtroopers après la défaite de l’Empire ou aux habitants de Metropolis après Man of Steel (Clark Kent, si tu nous lis… pas cool), etc. Seule inquiétude : le concept peut-il être être réutilisé ad vitam en changeant simplement de contexte ? De même, on aurait apprécié un peu plus d’imagination dans les contextes proposés. Mention tout de même à SantoCorp, cette compagnie agro-industrielle maléfique dont le nom ne vous sera pas étranger.
Design et lisibilité : le minimum minimorum
On peut difficilement proposer un livre plus simple que Les Sauveurs. Du haut de ses 90 pages, le livre ne paie de pas de mine avec sa couverture souple et son papier fin. À l’instar de son concept, l’ouvrage a misé sur la simplicité. Un peu trop, peut-être. Difficile en effet de tout saisir à la première lecture, en particulier pour les rôlistes habitués à des ouvrages excessivement fournis (genre la gamme Pathfinder, si vous voyez ce que je veux dire…). En revanche, je constate que de plus en plus de joueurs souhaitent s’orienter vers des jeux légers ne nécessitant pas trop de lecture. Dans ce cas, vous avez frappé à la bonne porte.
Si le design sommaire ne gênera pas grand-monde – en particulier pour 12 euros -, certains risquent de grincer des dents devant le manque de lisibilité. Bien que je l’aie parcouru deux fois, j’ai à chaque lecture dû tourner, retourner, détourner les pages pour saisir les règles du jeu. Les informations semblent éparpillées un peu partout et il faut en décrypter la logique pour s’y retrouver. Par exemple, le chapitre Déroulement d’une partie se situe avant Comment jouer. Or, quand on lit attentivement, on se rend compte que des informations sur “comment jouer” se trouvent déjà dans le déroulement… et sont absentes dans le chapitre adéquat (vous me suivez ?). De même, certains éléments de règles sont implicitement évoqués dans l’Exemple de partie, alors que leur présence explicite eût été utile.
Système de jeu : où sont mes dés ?
C’est probablement le point qui m’a le plus dérouté. Après tout, malgré des années d’expériences rôlistes, mes connaissances restent relativement classiques. Essayer un jeu de rôle sans maître du jeu était donc déjà un défi, en ce qui me concerne. Mais alors en plus essayer un jeu sans dés ? J’étais en terrain inconnu. Avant de recevoir le livre Les Sauveurs, je me suis renseigné sur le site officiel de l’auteur et j’ai trouvé un contexte. Impossible à déchiffrer, je me suis dis que je comprendrais mieux avec le livre. Et ce fut le cas… plus ou moins. N’étant toujours pas certain d’avoir saisi toutes les subtilités, j’ai décidé de contacter l’auteur lui-même – que je remercie en passant, puisque ses indications m’ont aidé. Bref, le système de jeu de Les Sauveurs reste très singulier.
On y incarne des sauveurs (non, c’est vrai ?) qui ont vaincu l’Ennemi et qui doivent désormais faire face aux conséquences. Parmi les joueurs se trouvent un Héros et des Traîtres. Tandis que le premier reste droit dans ses bottes et ne se remet pas en question, les autres plient sous le Doute qui les assaillit. Après une introduction qui marque la mort de l’Ennemi, les joueurs doivent à tour de rôle devenir narrateur et raconter ce qui arrive à leurs personnages. Ce qui met du piment à l’aventure, c’est que les autres joueurs peuvent intervenir pour arrêter, questionner, déstabiliser le narrateur. Ce qui donne lieu à une histoire collégiale, avec des chemins différents selon l’allégeance de son personnage (héros ou traître). Sur papier, l’idée s’avère très intéressante. Reste que quelques conseils de l’auteur me laissent perplexe. Par exemple, pourquoi décider d’un moment de la partie pour révéler son allégeance aux autres joueurs, quand il serait plus intéressant de réajuster le système pour faire en sorte que le mystère reste entier jusqu’à la fin ? Difficile aussi d’émettre un avis sur le système de Les Sauveurs, tant qu’on ne l’a pas testé, aussi je vous invite au paragraphe suivant…
Et quand on joue ? On devient son propre ennemi… et c’est dur
Tout d’abord, je tiens à remercier les deux joueurs qui m’ont accompagné durant la partie que j’ai lancée. Expérimentés en narration et improvisation, ils ont rendu la partie nettement plus agréable que ce à quoi je m’attendais. En revanche, difficile d’assurer un résultat similaire en toutes circonstances. Comprenez par là que ce sont les joueurs qui font le jeu et pas le système. Ce qui est problématique, puisque c’est le système qui devrait poser un cadre ludique aux joueurs, et non l’inverse. Exemple concret : si je suis le narrateur en fin de partie et que je souhaite, à mon tour de parole, provoquer la mort d’un autre joueur. Si celui-ci intervient pour m’en empêcher et qu’on finit par tourner en rond. Que faire ? On peut aller au vote, comme le suggère le bouquin, mais est-ce toujours ludique ?
Le problème réside donc dans l’absence de résistance aléatoire. Sans meneur pour “imposer” cette résistance et sans dés (ou autre chose) pour marquer la réussite ou l’échec, le narrateur est contraint de raconter une histoire dans laquelle il devra, tôt ou tard, se saboter. Ce qui peut être très stimulant en matière de narration mais ne revêt aucun intérêt ludique. On en vient d’ailleurs à se demander si ce “jeu” ne sert pas davantage à raconter une histoire, comme l’écrit Devernay sur la couverture de fin : “Un jeu de création d’histoires en deux heures pour trois à cinq joueurs, sans maître de jeu”. Et pour le coup, c’est vrai que nous avons créé une chouette histoire lors de notre partie, mais je suis convaincu qu’en apportant quelques modifications au système et le rendant plus substantiel, on pourrait s’amuser nettement plus.
Conclusion : un pitch super, un système à améliorer
Je le répète : Les Sauveurs propose un pitch de départ très prometteur. Incarner des héros qui doivent subir les conséquences de la mort de leur Ennemi offre un angle digne d’une grande histoire. Dans les faits, on parvient même à oublier le schéma du jeu, qui paraît générique mais ne l’est pas tant que ça. Par contre, les limites du système se font vite ressentir. Avec un groupe de joueurs expérimentés et de bonne volonté, il y a probablement de quoi passer un bon moment. Je regrette toutefois que cette tâche incombe tant aux joueurs, le système étant en l’état incomplet et perfectible. Du moins, si l’objectif est bien de jouer… car pour raconter une histoire, Les Sauveurs est un must. Je m’en suis moi-même rendu compte lors de ma partie : il y a vraiment de quoi concevoir un scénario original. Il serait malgré tout dommage de passer à côté, surtout au vu du prix, dans la mesure où un MJ expérimenté pourra réajuster les règles ou en ajouter d’autres pour exploiter pleinement le potentiel du jeu.
Sur ce, je retourne bouquiner et reviens vers vous prochainement pour un nouveau jeu de rôle à décortiquer !
A bientôt sur Sitegeek,
Musa
Si vous avez déjà testé des jeux de rôle sans maître du jeu ou si le concept vous intéresse, vous pouvez acheter Les Sauveurs chez notre partenaire Ludik Bazar en cliquant sur le lien ci-dessous.
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Avec son pitch, Les Sauveurs fait rêver. Dommage, le système nous rappelle vite à la réalité. Malgré tout, des joueurs expérimentés pourront trouver un usage adéquat à ce "générateur d'histoires".