Vade+Mecum est un jeu de Romaric Briand sorti en mars 2018. Ce jeu avec meneur propose à ses joueurs de mener une enquête halletante dans Los Angeles, en 2013. Les héros auront 24 heures pour arrêter les agissements d’un groupuscule menaçant de commettre des actes terroristes et la vérité sur cet étrange médicament qu’est le vade-mecum…
PJ 1, 2 et 3 entrent dans une salle ornée d’un drapeau des Etats-Unis. Trois mugs de café fument et une énorme boite de donuts semble les attendre.
Alors qu’ils s’asseyent, MJ sort… de nulle part. Il les fixe un moment. Mal à l’aise, PJ 1 tend la main vers la boite de donuts.
MJ lance soudain : Qu’est-ce que souffrir ?
PJ 1 a suspendu son geste. Il regarde MJ, incrédule. Qui le regarde.
Sans un bruit, PJ 2 profite de ce que MJ ne le regarde pas pour saisir un mug de café. Il retire sa main en criant “purée, c’est super chaud !”
MJ lui lance : Pourquoi te plains-tu ?
PJ 2 : Bah j’me suis brûlé, j’ai mal.
MJ : Ah, éviter la souffrance… mal de l’époque.
PJ 3 regarde la scène, un sourire en coin : Alors ce soir on joue à philo-RPG ? Parce que je te préviens, j’suis plutôt d’humeur à enfoncer des portes et tirer au gros calibre…
MJ le regarde, l’œil brillant. Et si on pouvait faire les deux ? Qu’en dites-vous ?
PJ 1, 2 et 3 semblent regagner en intérêt. Ils observent MJ sortir un échiquier, le déployer sur la table en poussant les beignets de côté. Il aligne amoureusement les pièces d’échec, place le roi blanc devant PJ 1, la reine blanche devant PJ 2, un des fous blancs devant PJ 3.
MJ : Los Angeles, 2013. Une nuit pluvieuse. Une nuit où tout va se jouer. Bienvenue dans les 24 heures les plus longues de votre vie…
PJ 2, suçant son doigt rougi, lance d’une petite voix : Je peux aller mettre de l’eau froide avant ?
MJ : …”
On décortique Vade+Mecum
Les règles de Vade+Mecum prennent la forme d’un livre de 326 pages (50€). Après les crédits, Vade+Mecum contient :
- Le premier chapitre (92 pages) place quelques mots sur ce qu’est le jeu de rôle et Vade+Mecum puis détaille les différentes mécaniques du jeu, présente les pré-tirés et donne quelques informations sur Los Angeles en 2013 ;
- Prélude : que la fête commence (16 pages) présente les scènes d’introduction de chaque pré-tiré ;
- Episode 1 : une soirée en enfer (17 pages) décrit le premier chapitre de la campagne ;
- Episode 2 : des matins qui chantent (26 pages) décrit le deuxième chapitre de la campagne ;
- La trame de Vade+Mecum (56 pages) donne toute les clés pour comprendre le fond de l’histoire de Vade+Mecum ;
- Episode 3 : Le plus long jour de ma vie (40 pages) décrit le troisième chapitre de la campagne ;
- Episode 4 : Quelques heures pour vivre (32 pages) décrit le quatrième et dernier chapitre de la campagne ;
- Conseils d’animation pour le seigneur (26 pages) donne des conseils pour animer au mieux une partie de Vade+Mecum ;
- Divers avertissements (3 pages) souligne quelques remarques faites à l’auteur par les testeurs.
Un index et divers remerciements clôturent le livre.
Univers : L.A. Noire
Vade+Mecum (V+M) s’ancre dans la cité de Los Angeles, en 2013. Pourtant, il ne s’agit pas d’un jeu réaliste. Il revendique une esthétique qui tient plus des fictions d’action (Die Hard, 24h Chrono) et de jeux vidéos (Metal Gear Solid, Parasite Eve) que de la chronique sociale.
C’est donc bien à un univers de polar vidéoludique que nous sommes conviés. Les joueurs forment une improbable équipe d’enquêteurs (des personnages pré-tirés sont fournis) qui aura vingt-quatre heures pour comprendre les agissements d’un groupuscule malveillant et les liens de ce groupe à un médicament étrange : le vade-mecum. Cette pilule en deux composants est au cœur du jeu et de l’univers. Celui ou celle qui prend un des composants du vade-mecum reçoit la moitié des douleurs subies par celui ou celle qui a consommé l’autre composant. L’idée étant d’amener à travers cette technologie à des questions morales et éthiques : doit-on éviter la souffrance à tout prix ? Peut-on légitimement transférer ses souffrances à un ou une autre, même si il ou elle est d’accord ?
Les pré-tirés sont fournis avec un passé trouble et lacunaire. En jeu, les joueurs devront activement chercher le passé de leurs personnages et comprendre pourquoi eux et personne d’autre n’ont été amenés à enquêter sur cette affaire. Cette mécanique (dont je reparle plus loin) amène à être sur ses gardes, précautionneux. Comme des policiers dans une enquête à haut risque.
Design & lisibilité : Mieux que Sens…
V+M est parfois difficile à lire. Certes, Romaric Briand a fait des progrès depuis son précédent jeu, Sens. Il ne fait plus de notes de bas de page, il place des schémas d’explication et des exemples mis en évidence tout au long du livre. Mais pour autant, il doit être compliqué de retrouver des informations importantes en partie. Surtout quand le jeu veut entretenir un flux tendu tout au long des séances. Par exemple, les révélations sur le “plot” sont en plein milieu de la campagne. Pourquoi ne pas les avoir placées avant ou après ? Pour tenter de palier ce problème, Romaric Briand a opté pour un matériel composite et diablement efficace. L’écran s’orne au verso d’énormément de rappels de mécaniques, y compris sur les montées de niveau et leurs effets. Des cartes reprennent les profils des différents antagonistes, les révélations à fournir aux joueurs.
De plus, le jeu demande de se fournir un échiquier et des dominos et utilise parfaitement cet outil comme support de jeu. Avec les pièces, on figure les alliés (en blanc) et ennemis (en noir) des PJ. Avec les dominos, on forme du mobilier, des murs, etc. Le tout permet de clairement montrer la situation tactique à tout moment d’un combat. Mais plus que ça, plusieurs scènes de V+M sont très graphiques et s’appuient sur l’échiquier. Par exemple, quand les PJ avancent le long d’un miroir, on place une ligne de dominos au milieu de l’échiquier et des pièces en regard qu’on avance en même temps. C’est une belle trouvaille… visuellement du moins (voir plus loin). De splendides illustrations de Valéry Nettavongs ponctuent l’ouvrage et donnent à voir des images toujours étranges. Le noir et le blanc est utilisé avec brio, rebondissant en permanence sur l’échiquier omniprésent.
Système de jeu : Trop de pièces pour un seul échiquier
Une chose est sûre : V+M dispose d’un système de jeu innovant, chaque phase de jeu ayant une mécanique dédiée. D’une part, Briand voulait que V+M soit une illustration du Maelstrom. Pour y parvenir, il a fait de V+M un jeu à secret : les joueurs, comme leurs personnages, doivent découvrir les problématiques abordées par le jeu (évidemment je ne peux vous les détailler ici) et le passé de leurs personnages. Le Seigneur (nom donné par V+M au meneur de jeu), lui, a des instructions précises quant au moment où amener certaines révélations. Si les joueurs découvrent une révélation avant que le Seigneur ne la livre, tous les PJ gagnent de l’expérience.
D’autre part, Briand voulait une gestion cinématographique des combats. Il a donc investi de son mieux l’échiquier demandé pour mener à des combats épiques, serrés, où on compte les points de vie, où le placement est important, où les images se succèdent. Enfin, il voulait un thriller haletant et très vidéoludique. Un compte à rebours visible de tous montre le temps qui s’écoule dans cette interminable journée d’enquête, de l’équipement et des capacités spéciales se débloquent à chaque montée de niveau, etc.
Mais malheureusement, j’ai eu l’impression en jouant qu’il n’avait eu le temps de rien finaliser. Les révélations sont la plupart du temps décevantes, les thématiques abordées peu profondes. Les combats deviennent vite poussifs, leur équilibrage est mal fait. Et l’aspect vidéoludique et haletant du jeu m’a fait sortir des réflexions philosophiques – les méchants nous tombent dessus et on les descend au lance-flammes, sans trop se demander ce qui les motive. Il me semble que ce jeu fourmille de bonnes idées. Mais que chacune aurait mérité un jeu à part, où que l’ensemble aurait dû être mieux travaillé pour fonctionner comme un tout.
Et quand on joue ? Un verre au quart plein
J’attendais vivement de jouer à V+M car sa promesse me plaisait. Et lentement mais sûrement, l’ensemble de la table est allée de l’enthousiasme à la déception. Je ne peux bien sûr pas trop en dire ici. Je pointerai seulement qu’après un premier épisode motivant, tout s’est lentement grippé. Nous voulions explorer des thèmes philosophiques mais étions face à des ennemis très manichéens. Nous voulions des combats fins et n’avons survécu que parce que le Seigneur a… oublié une mécanique liée aux assaillants (!). Etcaetera. Finalement, c’est avec soulagement que nous avons terminé en une quinzaine d’heures la campagne officielle. En nous demandant ce qui avait pu si mal se passer.
Conclusion : Un jeu à lire ou à bricoler
V+M est à mon sens un jeu plein de potentiels mal réalisés. Alors, à vous qui êtes curieux, je vous dirai : si vous n’avez pas peur de mettre les mains dans le cambouis, foncez. V+M a tout ce qu’il faut dans le ventre pour une belle campagne, mais il faudra tailler ce diamant avec beaucoup d’huile de coude. Vous qui aimez la conception de jeu, lisez-le et pillez-y plein de potentiels jeux splendides. Mais vous qui voulez un jeu clé-sur-porte pour jouer un thriller haletant, passez votre chemin. En l’état, il vous amènera plus de frustration que de contentement. Du moins c’est mon avis.
Comme pour Night Witches, pour ceux et celles d’entre vous qui seraient sur leur faim, sachez que j’ai écrit une critique plus longue et détaillée de V+M sur mon blog personnel. N’hésitez pas à aller lire !
À bientôt sur Sitegeek,
Manu
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Campagne
Vade+Mecum est un jeu plein de potentiels. Des mécaniques innovantes, des partis pris forts, mais qui s'unissent mal. En sort un jeu bâtard, qui malheureusement ne se hisse pas à la hauteur du potentiel qu'il a. Dommage.