D’habitude, les jeux indés connaissent leur place. Des petits jeux mignons qui ne sont pas censés titiller la grosse industrie et se faire tout petit sur le marché dématérialisé. Ninja Theory a décidé de dire stop au statu quo avec un Hellblade : Senua’s Sacrifice qui prouve qu’un jeu indépendant peut avoir la carrure d’un triple A.
Un après-midi avec Hellblade : Senua’s Sacrifice sur PS4
Fondé en 2004, j’ai un faible pour Ninja Theory. Depuis ses débuts, le studio britannique insuffle à ses jeux une passion contagieuse. Ce qui s’est traduit par des jeux charmeurs et marquants, à défaut d’être parfaits. On trouvera des défauts tant à Heavenly Sword qu’à DmC : Devil May Cry, en passant par Enslaved : Odyssey to the West… mais on ne pourra leur reprocher de manquer d’identité. Tous à leur niveau ont proposé une aventure immersive, voire une réflexion sur des thèmes universels et intemporels. Avec une certaine maladresse, peut-être, mais avec une bonne volonté telle qu’on a envie de la pardonner. C’est cette réflexion que met en avant le studio dans Hellblade : Senua’s Sacrifice, qui est moins un jeu d’action/aventure qu’une oeuvre culturelle dédiée à la psychose, un sujet encore fort tabou et méconnu.
Prends çAAA dans tes dents
Développer son propre jeu, qui plus est digne d’un triple A, sans l’aide d’une grosse boîte est un choix audacieux. Que dis-je ? C’est de la folie ! Ninja Theory a décidé de relever le défi et mon Dieu que c’est beau ! Si tous les jeux indés pouvaient avoir la carrure de Hellblade : Senua’s Sacrifice… enfin, une carrure qui n’est pas sans défauts mais qui en jette malgré tout. Techniquement, le jeu est fluide, les textures pour la plupart bluffantes, les dreadlocks de Senua crédibles. Et je ne vous ai pas parlé des vagues qui s’échouent sur des plages désolées et se dissipent avec le plus bel effet. Mais la star graphique du jeu, c’est Senua. Son visage, sa stature, ses animations, ses traits faciaux qui célèbrent la réalisme et forcent l’empathie. Hellblade est un beau jeu, tout simplement.
Beau ne veut pas dire parfait. D’autant que dans un jeu vidéo, la beauté a souvent un prix. Mais c’est précisément là qu’il faut saluer Ninja Theory car le studio a su masquer les tares graphiques du jeu et les distiller dans des recoins où nul n’ira chercher. Par exemple, quand Senua marche dans le sable humide, on ne voit aucune trace de pas. Est-ce grave ? Pas du tout, quand les ressources économisées là permettent au jeu d’avoir des plantes qui bougent au gré du vent ou des effets graphiques qui renforcent son propos. Le tout sans la moindre interface, s’il vous plaît, ce qui ne fait qu’accentuer l’immersion. Enfin, ça et la direction artistique à tomber par terre, qui renvoie tant aux mythes nordiques qu’au sujet abordé par Hellblade : Senua’s Sacrifice.
Entends-tu ces voix ?
Si l’ambiance graphique fait mouche, c’est la bande son qui émerveille. Ou provoque l’effroi, selon la situation. Hellblade : Senua’s Sacrifice propose dès le début de jouer avec un casque, ce que je ne fais jamais en temps normal. Je me suis prêté au jeu et j’en suis très heureux. Le travail effectué sur l’ambiance sonore, les voix qu’entend Senua, les râles ou encore les choix musicaux donnent de la substance au jeu. Ils contribuent, comme l’image, à immerger le joueur et à ressentir de l’empathie pour l’héroïne et à donner un aperçu de ce qu’elle peut ressentir.
Une héroïne par ailleurs doublée avec talent par Melina Juergens, monteuse chez Ninja Theory et actrice en motion capture, qui nous livre une Senua parfaite de A à Z. L’engagement des acteurs reflète une fois encore la passion et le dévouement du studio. D’ailleurs, les grosses boîtes du milieu devraient vraiment s’inspirer du travail de Ninja Theory en matière de son et de doublages, tant le niveau de qualité force le respect. Pour rappel, on parle d’un jeu indé ! Qui coûte que 30 balles !
Gameplay pavé de bonnes intentions…
Avant de vous expliquer pourquoi Hellblade : Senua’s Sacrifice est un des meilleurs jeux de l’année (oups, spoiler !), abordons le point qui fâche : le gameplay. Sans être mauvais, il marque les limites de ce qu’un studio est capable de produire sans être épaulé par un (très très) gros portefeuille. Les phases d’exploration, prises telles quelles, impliquent généralement de situer des symboles dans l’espace (par exemple trouver un arbre qui ressemble à une lettre pour débloquer une porte). Quelques autres classiques font leur apparition, comme le passage par-dessus une poutre sans tomber, mais rien de bien folichon. Les énigmes ne se renouvellent pas tellement et deviennent donc très vite redondantes.
Les combats commencent plutôt bien, avec des animations de qualité et des coups bien sentis. On alterne entre coups rapides et lourds, tandis que les ennemis sortent de nulle part et de toutes les directions pour attaquer. En phase avec le thème du jeu, les combats sont oppressants et s’inscrivent dans le climat anxiogène dressé par Hellblade : Senua’s Sacrifice. Mais à l’instar des énigmes, ils restent les mêmes du début à la fin, ce qui dérangera probablement quelques joueurs qui s’attendaient à plus de variété.
… mais est-ce bien grave ?
Après environ huit heures de jeu, j’ai bouclé Hellblade : Senua’s Sacrifice. Oui, le gameplay m’a agacé à certains moments – surtout quand on n’a aucune indication et qu’on meurt injustement, sachant que la mort à répétition peut mettre un terme à la partie et supprimer la sauvegarde (je ne suis pas arrivé jusque là donc pas testé). Mais très sincèrement, à aucun moment je n’ai eu envie de lâcher la manette. La raison est bien simple. Contrairement aux apparences, Hellblade n’est pas un jeu d’action/aventure. Il est tellement plus que ça. C’est une oeuvre qui invite le joueur dans l’esprit torturé d’un personnage attachant. Une expérience empathique qui permet au non-initié de s’engouffrer dans un univers qui effraie, quand il n’est pas simplement ignoré par le commun des mortels.
Il faut bien comprendre le but du jeu, à savoir suivre la quête intérieure d’une femme qui se bat contre ses propres démons. Une lutte qu’elle mène seule, comme beaucoup d’autres. C’est pourquoi tous les éléments du jeu orbitent autour de ce propos. Les effets graphiques, la bande son, mais aussi la narration. Celle-ci est bien rythmée, propose une évolution satisfaisante et donne une véritable leçon de vie – tout en nous apprenant des anecdotes intéressantes sur la mythologie nordique. Pris sous cet angle, Hellblade : Senua’s Sacrifice transcende l’image de son média. Mais en réalité, plutôt que de dire qu’il est plus qu’un jeu vidéo, je devrais dire qu’il est exactement ce qu’on devrait – aussi – pouvoir attendre d’un jeu vidéo. Du coup, les défauts de gameplay paraissent presque dérisoires…
Résumé des scores
Graphismes
Jouabilité
Scénario
Bande son
Une expérience empathique
Si certains reprocheront à Hellblade : Senua's Sacrifice ses défauts de gameplay, je vous invite à voir plus loin. À embrasser l'expérience intense et unique qu'il vous propose de vivre. On en oublie assez vite ses défauts dérisoires...
Revue de presse
6/10Gamekult |
14/20Gamergen |
–/20JV.com |
8/10Gameblog |
Une oeuvre culturelle à part entière
Hellblade : Senua’s Sacrifice ne se contente pas de faire un pied de nez à une grosse industrie qui n’aurait peut-être pas permis au jeu d’exister. Ou peut-être pas dans sa forme actuelle. Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir du choix de Ninja Theory d’avoir couvé son bébé seul pour nous proposer un tel résultat. Si vous vous attendez à un jeu vidéo ordinaire, c’est-à-dire avec gameplay, progression, points, etc. vous serez déçus. Mais si vous ouvrez votre esprit aux réflexions que suscite le jeu, si vous acceptez d’entendre ce qu’il a à dire, vous vivrez une expérience vidéoludique et culturelle unique. Hellblade : Senua’s Sacrifice est un des jeux qui m’a le plus touché ces dernières années et rien que pour ça, je lui dis merci.
Plus d’infos sur le site officiel de Hellblade : Senua’s Sacrifice.
À très bientôt sur Sitegeek.
Musa
In the darkness…
Bande-annonce :
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