Les jeux vidéo ont parfois tendance à dépasser les limites du politiquement correct. Mortal Kombat ou GTA ont d’ailleurs déjà fait polémique et ont eu droit aux réprimandes du jury à plusieurs reprises. Mais saviez-vous qu’il est un jeu qui est allé si loin dans le dérangeant qu’il a tout simplement été mondialement interdit en 1998 ? Nous avons mis la main sur Thrill Kill, sur PlayStation 1, le jeu de combat 3D le plus malaisant de l’histoire vidéoludique.
Thrill Kill : Génèse d’une polémique avortée
Et Paradox Development créa la machine à monstres
En 1998, alors que Mortal Kombat IV vient de défrayer la chronique fin 97 en affichant une violence encore jamais rencontrée à l’écran, les studios de Virgin Interactive décident de marquer la ludothèque PlayStation au fer pourpre. En confiant le projet de Thrill Kill à Paradox Development, ils commandent un jeu de combat jouable à 4 simultanément qui frappe plus fort que MK4. Les maîtres mots du cahier des charges vont rapidement se résumer à ultra-violence, torture, sexe et sadomasochisme.
Pour choquer et interpeller un public adolescent avide de sensations toujours plus fortes, les développeurs ont donc misé sur des stéréotypes malaisants. Ainsi, la brochette des personnages offre un casting qui se prépare à déranger. Belladonna s’impose en babe nymphomane voluptueuse. Elle conclut ses mouvements par des gémissements à réveiller Marc Dorcel. Tormentor, le bourreau armé de chaines, va plus loin dans le côté sado-maso de la chose. The Gimp est directement inspiré de la Crampe de Pulp Fiction, cet esclave S&M emprisonné dans une cave. Le handicap tient aussi un rôle majeur dans la galerie des horreurs, avec le siamois ridicule, l’horrible géant, le nain sur des échasses, …
Paradox Development contre Electronic Arts
Selon les développeurs, ces personnages ne faisaient qu’évoquer les stéréotypes dont ils s’inspiraient. L’objectif et le fil conducteur du soft restant totalement focalisés sur le combat. Certes, certains mouvements imitent des actes sexuels, mais jamais ils ne les accomplissent. Il n’empêche que lors du passage devant le ESRB (Entertainement Software Rating Board), le titre s’est fait recaler. Cet organisme avait été mis en place pour classer les jeux par âge aux USA, suite à l’affaire Mortal Kombat. Classé initialement AO-Rated, adultes uniquement, le jeu était voué à un échec commercial. Après quelques adaptations, le classement a été nuancé, pour devenir Mature-Rated (interdit aux moins de 17 ans). Ainsi, le jeu allait pouvoir se vendre dans la grande distribution.
Présenté à l’E3 1998, les chargés de marketing frappaient encore très fort. En effet, pour s’adonner à une partie de Thrill Kill, les joueurs devaient poser à quatre pattes avec Belladona sur leur dos. La machine était en route et rien ne semblait plus pouvoir l’arrêter. Le jeu se préparait à sortir en octobre 1998. C’est alors qu’Electronic Arts décida de racheter Virgin Interactive et sa ludothèque pour 122,5 millions de dollars.
EA, qui ne voulait pas salir son image de marque avec des scandales de jeux dits impropres, décida d’annuler purement et simplement la distribution de Thrill Kill. Pour que leur projet ne soit pas totalement tué dans l’œuf, les développeurs ont décidé de diffuser les roms avec les différentes versions du soft dans l’underground du web. EA a pour sa part réutilisé le moteur du jeu dans Wu-Tang : Shaolin Style (Activision), afin de rentabiliser un tout petit peu, le boulot de Paradox Development.
Technique
De mon côté, j’ai pu récupérer cette rom rendue disponible par les cadres de Paradox Development. Facilement ajoutable à ma PlayStation Mini, j’ai ainsi même pu donner un sens à l’existence de cette console peu inspirée. Rapidement, on se rend compte que le titre jouit des artifices d’un AAA pour l’époque. Le générique de début s’inspire de la photographie du révolutionnaire Se7en de 1995. C’est d’ailleurs toute l’esthétique de l’environnement du thriller de David Fincher qui semble avoir inspiré le style graphique de Thrill Kill. Avec la référence à Pulp Fiction de 94, c’est toute la nouvelle vague du cinéma 90’s qui est mise à l’honneur.
In Game, le jeu de combat 3D est dans la norme de ce qui se faisait fin des années 90 sur PS1. Les sprites tout en polygones grossiers ont plutôt mal vieilli. Les couleurs assez sombres de l’environnement où se déroule notre scène affectent même la lisibilité de l’action. À l’époque, cet aspect aurait probablement freiné l’enthousiasme de certains gamers, habitués aux atouts de Tekken. Néanmoins, la représentation de l’enfer et les arènes de combats représentées par des cellules d’emprisonnement font l’objet d’une profonde recherche. Les personnages et leurs animations ont, eux aussi, droit à un souci du détail très poussé. Les musiques et les bruitages sont excellents et collent à nouveau parfaitement aux standards cinématographiques de l’époque.
Gameplay
En termes de plaisir de jeu, les premières parties laissent une impression brouillonne. Puisque chaque combat se déroule dans une arène étroite, avec au départ 4 belligérants, on se retrouve rapidement à bourriner en espérant faire partie des survivants. Après quelques essais, le gameplay s’éclaircit. Avec au départ 4 joueurs, le but est de rester vivant face aux 3 adversaires, en mode chacun pour soi.
Chaque combattant commence la partie avec une barre de vie vide. Cette jauge, appelée Kill Meter se remplit à chaque fois que le joueur frappe un autre combattant. Lorsque la barre est pleine, il peut déclencher un Thrill Kill. Cette fatalité de base est commune à tous les joueurs. Elle permet par exemple de délicatement décapiter un adversaire. Lorsqu’il ne reste plus que deux joueurs à l’écran, le vainqueur peut, à l’instar de Mortal Kombat, déclencher une Fatality, propre à chaque avatar cette fois. L’objectif étant de remporter le tournoi des enfers, pour s’enfuir de cette horreur pour jouir d’une douce réincarnation.
Même si l’on peut, avec de la chance, s’en sortir en frappant n’importe comment, vous devrez rapidement appréhender les mécanismes du jeu. Un tuto parfaitement explicité est disponible dans le menu d’accueil. Il vous enseigne les rudiments des différentes attaques, les blocs via la touche L1 et la possibilité de se mettre accroupi avec L2. Les combos quant à eux ressemblent à ce qui se fait sur Mortal Kombat et sur Virtua Fighter. Avec un peu d’entrainement, les rencontres gagnent vite en intensité et l’aspect gore malaisant devient une façade, pour laisser place à un vrai jeu de combats intéressant. D’autres modes de jeu similaires sont aussi disponibles. Vous pourrez ainsi jouer à 4 en local ou faire des parties par équipe. Le principe reste le même.
Conclusion : Thrill Kill aurait-il survécu à l’enfer du marché ?
Ce titre est complétement barré. Il propose une expérience de jeu novatrice avec son mode 4 joueurs. Son univers décalé en aurait probablement fait un idéal entre potes, lors de soirées délires. Évidemment, trouver ce genre de produit en 1998 dans les rayons d’un supermarché, aux côtés de Zelda Ocarina of Time aurait assurément fait mauvais genre. Néanmoins, cette décision d’EA de mettre le voile sur une œuvre aussi travaillée que Thrill Kill, ajoute une énième danse au grand Bal de l’hypocrisie de l’industrie du jeu vidéo. Alors que tous les secteurs nourrissent la culture du gore et du plus malsain, le jeu vidéo fait encore exception. Même si cette fois, c’est pour montrer patte blanche. Malheureusement, l’histoire n’a pas retenu cet acte vénérable. Alors continuons à danser, ne disons pas merci à EA et à mort la censure !