Coriolis – The Third Horizon est un jeu de rôle publié par l’éditeur suédois Free League Publishing. Sorti en février 2017 en anglais, ce livre de 387 pages vous propose de vivre de palpitantes aventures dans un space opera aux saveurs orientales (voire orientalistes).
“MJ arrive avec un gros sac qu’il dépose sur la table.
PJ 1 regarde le sac d’un air perplexe : Euh… c’est quoi ça ?
MJ, enthousiaste et mystérieux, ouvre la tirette du sac : Aujourd’hui, j’ai décidé de vous faire deviner à quoi on allait jouer.
Les 3 PJ se regardent un instant.
PJ 2 : Mais euh… tu peux pas juste nous dire à quoi on joue ?
PJ 3 avec un petit rire gêné : Oui, tu sais… on n’a plus 10 ans.
MJ, visiblement déçu par l’attitude de ses camarades, se met à bouder : Bon ben d’accord… Excusez-moi d’avoir voulu commencer dans une bonne ambiance… Désolé d’avoir pensé à un moyen de vous mettre dedans… Je ne savais pas qu’en voulant vous faire plaisir, je vous décevrais… Non mais ça va hein, j’ai bien compris, je vais ranger ça et on va…
PJ 1 l’interrompt : Non mais vas-y, moi j’ai envie de deviner.
MJ continue de bouder et ferme son sac : Oh mais t’inquiète pas hein, je l’ai pas mal pris (tiens, on dirait qu’il a une poussière dans l’oeil), y a pas de souci, on va juste commencer à jouer.
PJ 2 surjoue pour rectifier le tir : Non mais t’as pas compris, MJ. Nous, ça nous ferait super plaisir de jouer à la devinette (on aurait juré entendre PJ 3 réprimer un fou rire) mais c’est juste qu’on veut pas perdre de temps, tu sais. On adore jouer avec toi et on veut juste se lancer le plus vite possible.
PJ 3, toujours le sourire aux lèvres : Bon alors, y a quoi dans ton sac ?
MJ rouvre le sac, sort une théière marocaine et lance sur un ton très théâtral : Alors, ça vous évoque quoi ?
PJ 2, comme si c’était parfaitement logique : Ben… du thé à la menthe.
MJ : Bien vu, et donc…
PJ 1, le yeux grands ouverts et sans conviction : Et donc… on… joue au Maroc ?
MJ le pointe du doigt avec un regard approbateur : Pas mal, mais non. Si après, je vous montre ceci…
Il sort alors un keffieh.
PJ 3, à son tour intrigué : On joue en Palestine ?
MJ, satisfait de voir les PJ se prendre au jeu : Toujours pas mais on s’en approche…
Une maquette de vaisseau spatial vient accompagner la théière et le keffieh.
PJ 2 : Euh… on joue des Palestiniens dans l’espace ?
MJ sursaute d’excitation comme un gosse face aux tentatives de ses camarades : Là, on devient chaud. Mais c’est toujours pas ça.
Il se remet à fouiller son sac, plonge le bras et en sort un jouet en forme de fusil blaster.
PJ 3, effrayé, sursaute et crie : On joue des terroristes !
Il se lève tellement vite qu’il fait tomber sa chaise et court à toute vitesse hors de la maison, sous le regard incrédule des autres.
MJ : …”
On décortique Coriolis – The Third Horizon
La couverture s’ouvre immédiatement sur une carte du système stellaire qui sert de contexte au jeu. Suivent les crédits, une table des matières synthétisée, la préface d’une page et enfin la première partie du bouquin, dédiée aux règles. Coriolis – The Third Horizon contient :
- Introduction (8 pages) donne un bref aperçu de l’univers du jeu au lecteur et lui permet de dresser un portrait grossier de ce qui l’attend à la lecture ;
- Your characters (38 pages) livre toutes les informations liées aux types de personnages qu’on peut incarner, les groupes, l’équipage, l’apparence, la réputation, les relations, les icônes, l’équipement, l’expérience et enfin les concepts (équivalent de la classe, en plus subtil) ;
- Skills (14 pages) explique les règles de résolution et détaille les compétences ainsi que leurs effets possibles en cas de réussite ou d’échec ;
- Talents (14 pages) décrit les talents propres à chaque personnage, liés à leur groupe, à leur icône, à leur background spécifique, à leurs implants cybernétiques ou bioniques, ou encore à leurs pouvoirs mystiques ;
- Combat (22 pages) détaille les règles de combat et les informations portant sur les dégâts physiques, le stress et les soins, avant d’aborder les combats en véhicules ;
- Weapons and equipment (34 pages) propose une liste assez exhaustive d’objets, de vêtements, d’armes, d’armures et autres biens matériels dans l’univers du jeu, tout en abordant la question de la monnaie ;
- Spaceships and star travel (41 pages) dispose de plusieurs règles concernant le voyage spatial, la création d’un vaisseau ainsi que de son équipement, et enchaîne avec plusieurs exemples de vaisseau, les mécanismes spécifiques au combat spatial ainsi qu’un long exemple ;
- The Third Horizon (8 pages) est le premier chapitre de la deuxième partie du livre, dédiée au décorum, et retrace rapidement l’histoire du Troisième Horizon, théâtre des opérations dans Coriolis ;
- Factions (34 pages) décrit les différentes factions, qui sont au nombre de huit (réparties en deux grandes catégories), et leur rôle politico-social dans le jeu, avant d’évoquer les autres acteurs moins importants mais non-négligeables de l’univers ;
- The people of the Horizon (26 pages) parle des différentes cultures qui peuplent le monde, leur quotidien, leurs coutumes, leur technologie, leur communication ou encore leurs croyances ;
- Coriolis (32 pages) présente la station spatiale dont le jeu tire son nom, en explore l’histoire, les recoins et le fonctionnement politique ;
- The Kua System (20 pages) illustre le système stellaire qui abrite l’univers du jeu, décrivant à tour de rôle plusieurs planètes ;
- Atlas of the Third Horizon (16 pages) poursuit le travail du chapitre précédent et décrit des lieux d’intérêt dans Coriolis, après avoir abordé l’astrographie ainsi que les portails ;
- Beasts and Djinni (24 pages) sert de bestiaire mais traite également d’autres menaces (comme les maladies) et de l’intelligence semi-artificielle ;
- Campaign (34 pages) propose plusieurs scénarios que le MJ peut lier pour ne former qu’une grande campagne.
Le livre se termine sur une carte de combat spatial, une fiche de personnage, une fiche de vaisseau, la liste des souscripteurs à la campagne Kickstarter, un index et enfin une petite carte de la station Coriolis.
Univers : space opera, politique, mystère et orientalisme
Coriolis : The Third Horizon est un jeu à univers, le bouquin consacrant 160 pages au décorum. Sans compter l’équipement et la création de personnages qui livrent aussi beaucoup d’informations sur le richissime contexte. Comme le titre l’indique, Coriolis célèbre le mariage entre la science-fiction façon space opera et le Moyen-Orient. Derrière ce pitch, je m’attendais à un univers crédible, absout de tout orientalisme. C’eût été trop beau, puisque le livre traîne quelques stéréotypes dignes du cinéma du 20e siècle (un peu comme ce brave PJ 3 qui a fui la table dans l’intro…). Des longues chemises, des ghutras et autres traits “exotiques” qu’on trouve ci et là sentent mauvais les 1001 nuits vues par des auteurs occidentaux. Ces derniers ont toutefois mené des recherches linguistiques et culturelles pour parsemer leur jeu de ce trait oriental qui reste crédible, dans l’ensemble.
Outre quelques clichés, Coriolis parvient à produire un univers cohérent qui regorge d’informations. Entre les factions, coutumes, croyances, cultures, biens et services ou encore les planètes, les amateurs de contexte dense et touffu y trouveront leur plaisir. Et même si certains éléments peuvent sembler de trop, je n’ai pas ressenti la même lourdeur ou la quantité envahissante de détails d’un Mindjammer (perception subjective, cela dit). Les auteurs parviennent en outre à dessiner un contexte politique tendu, qui donne du grain à moudre au MJ qui profitera de cette mine d’informations pour alimenter les dynamiques sociales dans le jeu. Le tout saupoudré d’un saine dose de mystère, dans un univers en pleine métamorphose. Bref, un jeu qui a toutes les caractéristiques d’un bon space opera, avec ce qu’il faut de sérieux et de cohérent. On pourrait citer Firefly parmi les références.
Design et lisibilité : Dense, élégant et ingénieux
Magnifique ! Free League Publishing confirme la qualité de ses produits avec un ouvrage somptueux, qui donne envie d’être feuilleté dès la couverture. Il s’en dégage même une odeur de livre authentique (oui, je sniffe mes bouquins, et alors ?!). L’agencement de l’information est ingénieux, tandis que les illustrations pastel avec ce subtil mélange de traditionnel et de moderne (une thématique centrale du jeu) resplendissent sur chaque page. Même en scrutant les détails, on note des choix éditoriaux qui donnent de la carrure au design, comme par exemple les bas de page décorés de motifs floraux aux couleurs ternes, qui côtoient un arrière-plan donnant sur l’espace infini.
Comme pour Tales from the Loop, du même éditeur, on ne peut que rester admiratif devant la structure de l’information. Tout d’abord, la gestion de l’information varie de page en page mais la structure globale demeure cohérente. Les éléments principaux se trouvent dans des sortes d’écran tablette incrustés dans la page, tandis que les tables chiffrées, les anecdotes et les exemples se situent dans la marge. La section consacrée aux vaisseaux et le bestiaire jouissent aussi d’une structure parfaite qui permet vraiment de lire l’ensemble des informations sans se perdre. Coriolis propose finalement des plans et schémas incroyables (peut-être même trop ?) pour les MJ qui souhaitent récurer les moindres recoins de l’univers du jeu et agrémenter ses descriptions de moult détails.
Suppléments : carte et bouquin au top… mais c’est quoi cet écran ?!
Après les sublimes suppléments de Tales from the Loop, notamment son écran aussi beau que pratique, j’avais hâte de voir ce que proposait Coriolis. Je dois reconnaître que je suis un peu déçu, en particulier de l’écran justement. En termes de design, il est magnifique. L’une des planches représente la station Coriolis, tandis que le reste donne sur la profondeur de l’espace, avec quelques nuances. Mais quand on regarde à l’intérieur, c’est une catastrophe (bon, j’exagère peut-être un peu… ou pas). Deux planches recensent presque à elles seules un tableau des blessures critiques (une planche rien que pour ça !) et le générateur de PNJ. Y a quand même plus utile comme info, non ? Le reste livre des éléments plus intéressants, portant essentiellement sur les combats.
Ensuite, la carte double face qui illustre le Troisième Horizon – votre terrain de jeu – ainsi que les différents systèmes stellaires qui le composent. L’autre face accueille un plan de la station Coriolis. En fait, ce sont les deux plans disponibles à l’intérieur de la couverture du jeu, en plus grands et avec plus d’informations, comme par exemple les lieux d’intérêt sur les différentes planètes. De quoi improviser sans retourner dans un atlas. D’ailleurs, l’un des suppléments est l’Atlas Compendium, regroupant des infos sur les planètes importantes mais ce n’est clairement pas la partie la plus intéressante du bouquin. Celui-ci propose un système pour générer ses propres systèmes et planètes, un générateur de missions (avec de nombreuses variables) et un générateur d’incidents lors des voyages spatiaux, histoire de leur donner du relief. L’ouvrage de 60 pages se termine sur des fiches de missions, de PNJ et de planètes. Un dernier mot sur le jeu de tarot extrêmement versatile, spécialement conçu pour Coriolis. Il peut remplacer les dés, désigner des postes, générer des missions sur le tas ou proposer des PNJ. Un supplément qui paraît inutile mais s’avère très intéressant (mais à tester, je n’en ai pas eu l’occasion).
Système de jeu : Entre deux chaises
Si vous lisez mes critiques, vous avez dû remarquer que j’ai un penchant pour les systèmes simples, malléables si possible. Une préférence personnelle. Cependant, certains éléments objectivables me permettent d’appuyer mes propos. Par exemple, dans Coriolis – The Third Horizon, le système de résolution de base est quasi identique à celui de Tales from the Loop, un des meilleurs que je connaisse (même s’il n’est pas mon préféré). Traduction : on prend autant de D6 que son attribut et (éventuellement) sa compétence, et on lance. Il suffit d’un seul 6 pour réussir de justesse, tandis que les 6 supplémentaires offrent des bonus. Rapide, intuitif, fluide… Les subtilités liées au nombre de 6 et la possibilité “d’acheter” des effets bonus à ses compétences enrobe à merveille ce système.
Viennent ensuite les combats, affublés de quelques soucis. Un problème d’abord de lecture. Certains bonus impliquent des dés supplémentaires, alors que d’autres impliquent d’ajouter des points à son résultat (ou alors c’est moi qui n’ai rien compris, c’est pas exclu). On s’y perd un peu. Ensuite, a priori simples, les combats voient de nombreuses variables venir s’agglutiner au système de base, si bien que les joueurs comme moi risquent d’étouffer au bout d’un moment. De base, le système reste malgré tout très cohérent (un mot-clé dans Coriolis). On a des combats classiques avec initiative, rounds et points d’action (PA). Par round, chaque PJ a 3 PA qu’il peut dépenser en actions rapides (se couvrir, dégainer), normales (attaquer) et lentes (viser, premiers soins). Jusque là, ça va. Durant un tour, quand on est attaqué, on peut réagir, ce qui implique une dimension stratégique, car il faut “calculer” ses PA en conséquence. Dans l’ensemble, le système tient bien la route, même si ce mélange entre actions fluides et combats plus stratégiques (et donc forcément plus lourds et lents) peut gêner.
Et quand on joue ? Alien n’a qu’à bien se tenir
Quand je me suis lancé (seul, comme un fou, alors que nul n’y croyait… *musique épique sonnant l’espoir*) dans la critique de jeu de rôle, je voulais proposer quelque chose de plus. Je ne voyais pas l’intérêt de répéter ce qui pouvait être dit ailleurs (même si toutes les critiques ne se valent pas). Mais je voulais aussi aller au-delà de la simple critique de bouquin. D’autres font ça mieux que moi et mon but est surtout d’offrir un “avis du consommateur”. Un choix dont je me félicite (et ça n’arrive pas souvent) car jouer à un jeu de rôle peut remettre en question toute la lecture qu’on en a. Revenons donc à Coriolis. Si j’adore personnellement le système de résolution de base, des joueurs à ma table se sont montrés plus perplexes. Ils l’ont trouvé beaucoup trop punitif (pas toujours facile d’obtenir un 6 !). D’autres avaient du mal quant aux descriptions (ou à mon interprétation) des compétences.
Et c’est là tout l’intérêt de ces critiques. D’une part, ça me permet de réajuster ma propre lecture du jeu afin d’améliorer l’expérience qu’il fournira à mes tables futures. D’autre part, ça remet en perspective la potentielle qualité du jeu. Cela étant dit, la partie s’est bien déroulée, j’ai fait jouer le scénario horrifique du Quickstart, une enquête à l’ambiance Alien-like. J’ai quelques réserves quant aux prétirés de ce dernier mais il permet déjà de se forger un avis sur le jeu, donc à conseiller. Comme je le craignais également, les combats requerront plus d’une partie pour que le MJ et les joueurs fassent leurs armes et maîtrisent les subtilités du système. Malgré tout, la partie s’est bien déroulée, le jeu tient la route mais il faut clairement viser la campagne pour en apprécier pleinement l’univers et les mécanismes.
Conclusion : Vers les étoiles et au-delà
Sur papier, Coriolis – The Third Horizon est un jeu de rôle fascinant. Avec ses magnifiques illustrations, sa pédagogie (malgré quelques passages douteux), son univers extrêmement riche et son système cohérent, il semble multiplier les qualités. Une fois qu’on lit de plus prêt, le bouquin n’échappe pas à quelques points d’interrogation, notamment sur le déséquilibre entre le système de base intuitif et les combats touffus. Néanmoins, l’ensemble tient parfaitement la route et donne envie d’en découvrir plus, le pari est donc tenu. Pour ma part, c’est le premier jeu de rôle de science-fiction doté de son propre univers qui m’inspire. Rien que pour ça, je prendrai le temps de l’explorer davantage.
Si vous aussi cherchiez de la SF qui ne soit pas du Star Wars, je ne peux que vous inviter à lire le Quickstart et – qui sait ? – à vous laisser tenter par ce jeu globalement excellent. Si vous avez des questions, n’oubliez pas que les commentaires sont là pour ça !
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Suppléments
Système
Et quand on joue ?
Voilà longtemps que je cherchais un bon jeu de science-fiction avec son propre univers. Je crois l'avoir trouvé avec Coriolis - The Third Horizon, ce doux mélange de SF et de Moyen-Orient (avec un brin d'orientalisme). Chouette univers, bon système bien que déséquilibré. Reste plus qu'à trouver le temps d'y jouer.
Hello,
Merci pour cette critique. A l’annonce d’AKA Games, je me surprends à la lire pour la seconde fois.
As-tu continué à joué à Coriolis ? Peut-être que tu as pu approfondir certains points.
J’avoue que le système me laisse perplexe car j’appréhende mal la simplicité du moteur (le principe) avec la multitude des options de combat.
Si tu peux nous en dire plus, n’hésite pas ;-)
Hélas, non. Je n’ai pas eu la volonté de me replonger dans ce jeu, malgré son univers intéressant. Je ne pense pas que ses problèmes mécaniques soient insurmontables, cela dit. Il suffirait de simplifier les combats pour les rendre plus cinématiques en ôtant les concepts de manoeuvres/actions et de prendre des jets plus globaux. Mais le système tel qu’il est ne me plaît pas.