Kids on Bikes est un jeu de rôle indépendant créé par Renegade Game Studios et financé via Kickstarter. Sorti en septembre 2018 en PDF et en dur, ce livre de 156 pages surfe sur la vague back to the 80s tout en étant moins contraignant – et moins bien ficelé – que les ténors du genre.
“MJ s’adresse aux 3 PJ.
MJ : Bon les gars, merci pour vos suggestions. Grâce à vous, on sait maintenant dans quel type de cadre se déroule l’aventure. Comme l’a suggéré PJ 1, nous sommes dans le Maine, aux États-Unis. Plus précisément dans une petite bourgade qui vit…
PJ 1 l’interrompt : du tourisme ! C’était mon idée !
MJ, sans grand enthousiasme : Oui, en effet. J’ai toujours du mal à comprendre comment on y vit du tourisme puisque selon les suggestions de PJ 2 et 3, les gens y sont désagréables et il pleut toute l’année mais oui, très chouette idée, merci.
PJ 2 : Faut pas non plus oublier qu’il y a une secte qui sévit dans notre petit village.
PJ 3 : Ouais mais moi j’incarne un petit matheux qui vend des cookies pour les prochaines olympiades, donc je m’intéresse pas trop à ces trucs-là.
MJ qui s’impatiente : Oui, oui, bref, tout ça on est déjà au courant. Est-ce que vous avez bien lu ce que je vous ai expliqué concernant le personnage à pouvoir ?
PJ 2, comme si c’était la chose la plus évidente au monde : Ben oui, c’est simple. En gros, on incarne chacun quand on veut ce personnage, c’est bien ça ?
MJ : C’est exactement ça. Mais attention, c’est plus compliqué que ça en a l’air…
PJ 1 avec un sourire condescendant : T’inquiète, on gère !
MJ se résigne : Bon, très bien. Dans ce cas, commençons… Vous êtes donc pour rappel à la sortie du lycée, où vous avez croisé Billy, qui a mis K.O. les joueurs de l’équipe de foot qui vous embêtaient.
PJ 3 sur un ton surjoué conquérant : Haha ! Vous avez vu ça ?! Ils embêteront plus personne après ça !
PJ 2 qui se la joue timide et sans assurance : Euh… T’es sûr, Toby ? Parce que moi euh… J’ai peur qu’ils reviennent se ven…
PJ 3 l’interrompt en perdant sa voix théâtrale : Euh non, j’suis pas Toby, là. J’incarnais Billy.
PJ 2 qui sort aussi de son rôle et rit en se donnant une tape sur la tête : Ah ouais, j’suis bête. Je pensais que tu jouais ton propre perso… Bon, on reprend !
PJ 1 incarne son personnage : C’est génial, Billy ! Tu les as propulsés contre le mur comme si de rien n’était !
PJ 3 : Tiens, d’ailleurs, t’as d’autres pouvoirs super cool ?
PJ 2 : Comment ça, d’autres pouvoirs ?
PJ 3 : Ben oui, tu sais faire de la télékinésie mais c’est tout ?
PJ 2 sort une nouvelle fois du personnage en riant : Haha, cette fois c’est toi qui t’es trompé. C’était pas Billy qui posait la question, c’était mon perso.
MJ regarde par terre et se murmure en soupirant : Ça va être une longue partie…”
On décortique Kids on Bikes (Deluxe Edition)
Une couverture externe et interne illustrées, suivies des crédits et ensuite d’une très jolie BD pour situer le genre d’univers sur une petite dizaine de pages. Après la table des matières et une très courte introduction, Kids on Bikes contient :
- Setting Boundaries (1 page) aborde un point très important dans le jeu, à savoir la création d’un cadre propice au confort de tout le monde ;
- World Building (4 pages) pose les questions auxquelles les joueurs doivent répondre afin de créer un contexte en commun ;
- Character Creation (18 pages) décrit les règles de création de personnage, avec moult variantes comme une création de A à Z ou en choisissant des archétypes, le tout en répondant à une série de questions pour façonner la dynamique du groupe ;
- Playing the Game (14 pages) reprend le système basique du jeu, avec les différents types de jets, les degrés de difficulté, la gradation de la réussite ou de l’échec, la spécificité des combats, avant d’aborder des points moins importants mais susceptibles d’intervenir en cours de partie ;
- Powered Characters (6 pages) explique comment incarner le personnage à pouvoir, un P(N)J dont le contrôle est partagé, ainsi que les implications de sa présence dans le jeu ;
- Information for the GM (9 pages) est un chapitre dédié au MJ afin d’assurer un espace de jeu bienveillant, donner le bon rythme à sa partie, gérer la narration commune avec les joueurs, interpréter de manière riche les jets, etc. ;
- Appendix A – Relationship Questions (3 pages) est un annexe listant les questions auxquelles on répond pour développer ses relations à la création des personnages ;
- Appendix B – Strengths (2 pages) est un annexe listant les forces/avantages des personnages, avec les effets mécaniques qui en découlent ;
- Appendix C – Flaws (1 page) est un annexe listant les défauts des joueurs, dont l’impact est purement narratif ;
- Appendix D – Possible Aspects for Powered Characters (4 pages) est un annexe listant les traits à définir pour le personnage à pouvoir, que ce soit des traits de personnalité, ses relations avec les PJ ou ses pouvoirs ;
- Appendix E – Tropes (6 pages) est un annexe listant les 15 archétypes avec leurs dés et les questions auxquelles les joueurs doivent répondre à la création de leur personnage ;
- Appendix F – Difficulty Ratings and Consequences (3 pages) reprend les tableaux définissant les degrés de difficulté, les niveaux de réussite et leurs conséquences.
Après ces 74 pages se trouve la fiche type de personnage, suivie de Strange Events in Small Towns, soit 20 modules servant de cadres de jeu préconçus étalés sur une centaine de pages, et qui laissent suffisamment d’espace aux joueurs pour avoir de l’impact dessus.
Univers : Du sur mesure collaboratif
Clairement le point fort de Kids on Bikes, qui ne propose aucun univers d’emblée. Certes, on y trouve cent pages de modules proposant des cadres préconçus avec leur situation géographique, les pistes d’intrigue, etc. Mais en réalité, Kids on Bikes incite avant tout les joueurs (et pas le MJ) à concevoir l’univers dans lequel ils veulent jouer. Pour ce faire, le MJ dispose d’une liste de questions auxquelles ils doivent répondre. Des questions simples, comme le nom de la ville, ce dont elle vit, les rumeurs qui courent, les organisations emblématiques, le nom de l’équipe de sport du lycée, etc. Tous ces éléments deviennent du grain à moudre pour un MJ inspiré.
Par ailleurs, si Kids on Bikes semble s’inscrire dans la vibe Stranger Things, le jeu s’avère moins contraignant en matière d’univers que Tales from the Loop, par exemple. On peut y jouer dans les années 60 comme à notre époque. De même, aucune obligation d’incarner des enfants, le jeu proposant trois catégories d’âge – enfant, adolescent ou adulte, avec un impact narratif et mécanique. On se retrouve avec un cadre de jeu riche et que les joueurs s’approprient immédiatement, puisqu’ils en sont les créateurs. Le seul conseil donné par le bouquin et que j’ai trouvé plutôt amusant, c’est de se retrouver dans une ville assez éloignée des métropoles pour que tout le monde se connaisse, et assez proche pour que les hélicoptères noirs du gouvernement arrivent en cas de pépin. De quoi planter l’ambiance, sans plus.
Design et lisibilité : Un bon look bien rétro
Sur 75 pages, les auteurs ont réussi à caser une tonne d’informations sans pour autant gaver le lecteur. Aucune page ne semble superflue et on parcourt très vite Kids on Bikes. C’est fluide, c’est clair, c’est agréable à lire. On peut également compter sur les nombreux cadres d’exemple quand l’une ou l’autre information ne nous semble pas très claire, ce qui est rare. En dehors de l’un ou l’autre passage, j’ai lu le livre d’une traite. Une lisibilité donc tout à fait correcte.
Les illustrations, elles, se situent un cran au-dessus. Avec leur look rétro (qui renvoie toujours à l’ambiance mystérieuse que le jeu essaie d’émuler), elles jouissent d’un trait crayonné très évocateur. Idem pour les couleurs criantes aux faux airs de vieux romans graphiques, qui trahissent l’intelligence de l’artiste. Des artistes, pardon, puisqu’ils/elles sont quatre : Heather Vaughan, J J Moore, Monica Magaña et Andy Gruba (Google est votre ami).
Système de jeu : Simplicité et complexité, le couple terrible
Ma lecture du système s’est faite en deux temps. D’abord, une bonne surprise. Le système se veut clair et simple dans l’absolu, avec un set de dés polyédriques dont chacun renvoie à un degré de maîtrise (le D4 pour votre caractéristique la plus faible et le D20 pour la plus forte). Le MJ établit donc un degré de difficulté et le dé (qui peut exploser s’il affiche son score maximal) doit l’égaler ou le dépasser. Sachant que tous les dés se jouent sur seulement six caractéristiques reprenant tous les types d’action possibles et imaginables, on se dit qu’on est face à un jeu simple.
Or, cette simplicité devient rapidement complexe quand on s’intéresse aux degrés de difficultés très vagues et à la gradation de la réussite et de l’échec. Des tableaux qui encombrent le MJ, qui se met à réfléchir à des paramètres superflus (“Donc il a une réussite de +7, ce qui veut dire qu’il a très très bien réussi mais que…” *soupir*). Vient ensuite le personnage à pouvoir, qui repose sur une superbe idée. C’est au MJ de le créer mais ce sont les joueurs qui vont l’incarner à l’aide de cartes posées devant eux et affichant une multitude de traits. Si ce personnage dispose d’un trait “a toujours faim”, par exemple, eh bien un joueur peut activer la carte l’indiquant. C’est alors à la personne devant la quelle est posée la carte d’incarner le personnage. Si vous êtes perplexes, c’est normal.
Et quand on joue ? Quiproquo
Les deux problèmes que j’ai relevés à la lecture du bouquin se sont posés lors de notre partie. Sans surprise, incarner un personnage à tour de rôle donne lieu à des séquences confuses quand tous les PJ sont présents. Plusieurs fois, on s’est demandé si tel joueur incarnait son personnage ou le personnage à pouvoir. En réalité, il aurait été plus simple de laisser le MJ l’incarner, tout en laissant les joueurs activer les traits de personnage afin d’avoir un contrôle sur ce qu’il fait, par exemple.
Quant au système, autant la base se veut simple, autant ses subtilités compliquent la lisibilité et la fluidité du jeu. Par exemple, lors des combats, le contrôle de la narration est partagée selon le degré de réussite ou d’échec. Dans la mesure où les combats constituent rarement l’élément le plus fluide d’un jeu de rôle, alourdir encore plus cet aspect avec autant de paramètres revient à se tirer une balle dans le pied. Nous avons donc soigneusement évité les combats, même si le même problème est survenu quand le MJ devait s’intéresser aux marges de réussite/d’échec. Cela étant, la table a passé un très bon moment et je suis persuadé qu’en supprimant ou ajustant ces éléments superflus, Kids on Bikes dispose d’un potentiel indéniable.
Conclusion : Pas besoin d’un VTT quand un BMX fait l’affaire
Si la première lecture de Kids on Bikes m’a beaucoup hypé, j’ai vite déchanté en lisant le passage sur le personnage à pouvoir et j’avais raison. Cette session de test m’a très vite confirmé ce qui fonctionnait et ce qui ne tournait pas rond. Vu le potentiel de Kids on Bikes, sa volonté de rendre le contrôle narratif flexible entre MJ et joueurs, et surtout la possibilité de s’en approprier l’univers, il serait dommage de passer à côté. Surtout pour les personnes qui aiment les jeux surfant sur les oeuvres des années 80 – un cadre auquel ne se confine toutefois pas Kids on Bikes. Bref, un jeu de rôle sympa, facile à prendre en main mais qui nécessité un bon dépoussiérage pour s’éviter des quipropo et frustrations inutiles.
À bientôt sur Sitegeek,
Musa